Le problème du Quinquennat — Fusion du législatif et de l’exécutif

Paul Camellina
6 min readFeb 2, 2019

Introduction

L’Assemblée Nationale

Dans une série d’articles je vais essayer d’analyser la structure politique française, aussi bien au niveau des institutions constitutionnelles (Présidence de la République, Assemblée Nationale, comment une loi est elle préparée? etc…) qu’au niveau des institutions politiques (partis politiques etc…) pour déterminer si nous sommes vraiment en démocratie, quels sont les verrous qui empêchent l’expression de la volonté du peuple, où se situent ils et enfin proposer des solutions à ces problèmes. Car, à mon avis, les Gilets Jaunes et à travers eux la majorité du peuple français, rejette en bloc le système actuel, exige plus de démocratie et un lien direct entre le citoyen et la politique.

Liens vers les autres articles de la série :

Pouvons nous exprimer notre opinion en France? Pouvons nous proposer des idées politiques?

Le RIC : une nécessité démocratique

Deux verrous que je pointe dans cet article sont le quinquennat qui soude l’exécutif et le législatif, une solution serait de revenir au septennat et le second est la façon dont les lois sont proposées, une solution serait le RIC.

Aujourd’hui en France, les élections présidentielles et législatives ont lieu tous les cinq ans et se suivent à deux mois d’intervalle, si bien que le président a toujours la majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Comme tout système il a ses avantages et ses inconvénients : l’avantage principal est que le Président de la République peut faire passer les lois qu’il veut et donc gouverner “efficacement” ou sans contestation de la part des députés notre pays. Mais cela pose plusieurs inconvénients : une fusion du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ainsi que l’impossibilité pour les citoyens d’infléchir la politique du gouvernement — assemblée par un vote.

Séparation des pouvoirs — Contextualisation

La séparation des pouvoirs est une théorie créée par Aristote dans un premier temps puis enrichie par John Locke et Montesquieu, dans de De l’esprit des lois. Cette séparation sert à limiter les abus, les décisions arbitraires ainsi qu’on ne soit pas en dictature : personne ne peut faire les lois, les appliquer et juger car à ce moment là il pourrait tout faire et réprimer toute opposition.

Ces pouvoirs sont au nombre de trois : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Les instances qui détiennent ces pouvoirs doivent être indépendantes et distinctes tant par leur mode de fonctionnement que par leur désignation.

L’objectif assigné par Montesquieu à cette théorie est d’aboutir à l’équilibre des différents pouvoirs : “Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.” Séparer et contrebalancer.

Le pouvoir législatif est celui chargé de voter les lois, gérer le budget de l’État. En France ce sont le Sénat et l’Assemblée Nationale qui ont ce pouvoir.

Le pouvoir exécutif est celui chargé de l’application de ces lois, en pratique il fait beaucoup de choses : il dirige la police, la force militaire, l’administration, la diplomatie, négocie les traités, nomme les fonctionnaires et édicte des règlements. Sous la Cinquième République, c’est le Premier Ministre et le gouvernement qui assurent cette tâche, si le Président est du même bord politique que le Premier Ministre c’est alors le Président qui a cette charge.

Le pouvoir judiciaire contrôle l’application des lois et sanctionne le non respect de ses lois. Ce sont les juges et les magistrats qui l’exercent.

Le Quinquennat sous la cinquième république

Nous venons de voir la théorie : mais qu’en est t’il de la pratique sous la 5éme république? C’est là que le bât blesse car sous la 5éme république il n’y a pas de séparation des pouvoirs à proprement parler. Si le Président de la République a la majorité à l’Assemblée Nationale il a donc de facto les pouvoirs exécutifs et législatifs, mais aussi le pouvoir judiciaire car il y a un ministère de la justice (le garde des sceaux). Sur ce dernier point il faut tout de même prendre un peu de recul car le ministre de la justice ne dicte pas leurs comportements aux juges même s’il peut faire passer des directives.

La cohabitation n’avait pas été prévue par De Gaulle lorsqu’il écrivit la constitution, il pensait qu’en cas de cohabitation le président devrait démissionner car « on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet ».

Le quinquennat a été introduit par Jacques Chirac lors d’un référendum le 24 septembre 2000. La question posée était : « Approuvez-vous le projet de loi constitutionnelle fixant la durée du mandat du président de la République à cinq ans ? », 73,21 % des votants ont approuvé avec une participation de 30,1 %. Le premier quinquennat a commencé en 2002 lors de l’élection de Jacques Chirac.

On pourrait interpréter l’instauration du quinquennat de plusieurs façons. Premièrement pour éviter la cohabitation : comme les députés et le président sont élus pour 5 ans et que les élections législatives ont lieu deux mois après les élections présidentielles, le président a quasi automatiquement la majorité à l’Assemblée Nationale (nous y reviendrons plus loin), il n’y a donc plus de cohabitation possible à moins que le président dissolve l’assemblée. On pourrait aussi y voir un manque de courage politique de nos présidents qui ont refusé de démissionner alors que l’Assemblée change de couleur.

Fusion des pouvoirs — Pourquoi est-ce néfaste?

La première raison pour laquelle cette fusion est néfaste et la plus importante est que structurellement parlant, le président de la république détient alors tous les pouvoirs. Cela ouvre la porte à toutes les dérives :

  • Autoritaires : lois travail, état d’urgence permanent, police secrète (Benalla), répression des manifestations
  • Obstruction à la justice : enquêtes sur les parlementaires classées sans suite (Darmanin, Ferrand, Castaner etc…), pas d’enquêtes sur l’utilisation de financements publics par des entreprises privées (Sanofi, Carrefour via le CICE par exemple), enquête sur Benalla tuée dans l’oeuf.
  • Abus : Postes consulaires donnés à des amis, augmentation des salaires des membres des cabinets ministériels
  • Décisions arbitraires : prison ferme pour des gilets jaunes et sursis pour des crimes en col blanc.

Il faut avoir à l’esprit que ces dérives ne sont pas seulement dues au fait que Macron et le gouvernement soient mal intentionnées. Elles sont dues avant tout au fait que la structure leur permet de faire cela en toute légalité.

La seconde raison pour laquelle cette fusion est néfaste est démocratique : pendant 5 ans le président de la république peut faire ce qu’il veut politiquement parlant sans que le peuple puisse agir ou faire remonter ses désirs (autrement qu’en passant par la rue). Ainsi, toutes les dérives ci dessus n’ont pas été sanctionnées et ne peuvent pas l’être. Si le pouvoir en place décide de mettre en place des mesures qui n’étaient pas à abordées lors de leur élection ou qui n’étaient pas dans le programme (Pacte de Marrakech, CETA, loi Elan par exemple) il est alors impossible que le peuple agisse.

C’est aussi l’idée que la démocratie ne peut s’exprimer que dans les urnes.

On touche ici à une limite de la démocratie dont Tocqueville avait parlé dans De la démocratie en Amérique : une société ne peut pas être réellement démocratique rien qu’avec ses institutions élues car nous n’avons pas d’emprise sur elles autrement qu’au moment du vote. Il suggérait une plus grande force des corps intermédiaires.

De plus rappelons que sous la cinquième république, le peuple ne peut pas intervenir dans le processus de création d’une loi : il ne peut ni en proposer une, ni proposer des amendements, ni l’annuler. Seul le Gouvernement peut proposer des projets de loi et l’Assemblée et le Sénat peuvent faire des projets de loi.

La troisième raison, plus mineure, est simplement que cette fusion permanente entretien la confusion dans l’esprit des français et dans le débat politique si bien qu’aujourd’hui des questions exécutives se mêlent à des questions législatives alors que les questions “exécutives” de la gestion de l’administration, des services publics, de la diplomatie, politiques d’investissement public n’ont rien à voir avec les questions “législatives” comme les lois sur le travail, la fiscalité, la justice ou encore le régime des retraites.

Si bien qu’on entend que le Quinquennat est quelque chose de positif parce qu’il permet au gouvernement de faire passer ses lois alors que c’est une aberration : le gouvernement n’a (en théorie) pas à proposer des lois. Et même si je ne suis pas contre le fait qu’il puisse élaborer des projets de lois je pense que les citoyens aussi devraient, grâce au RIC, pouvoir élaborer des lois pour pouvoir exprimer leur volonté.

Le RIC serait un outil utile pour résoudre le second problème, le problème démocratique. Mais il ne serait d’aucune utilité pour résoudre le premier problème, le problème structurel.

Il faut donc repenser plus profondément nos institutions qui ne permettent pas l’expression du pouvoir du peuple, de la démocratie. La suppression du quinquennat et revenir au septennat est un début mais la façon dont sont votées les lois, la logique des partis en France qui entretient la même classe politique en France sont les vraies sources du problème.

Je pense sincèrement qu’il faut repenser les institutions de la cinquième république pour en créer d’autres plus démocratiques.

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