Pouvons nous exprimer notre opinion en France? Pouvons nous proposer des idées politiques?

Paul Camellina
8 min readFeb 2, 2019
Giovanni Paolo Panini — The pool at Bethesda

Dans une série d’articles je vais essayer d’analyser la structure politique française, aussi bien au niveau des institutions constitutionnelles (Présidence de la République, Assemblée Nationale, comment une loi est elle préparée? etc…) qu’au niveau des institutions politiques (partis politiques etc…) pour déterminer si nous sommes vraiment en démocratie, quels sont les verrous qui empêchent l’expression de la volonté du peuple, où se situent ils et enfin proposer des solutions à ces problèmes. Car, à mon avis, les Gilets Jaunes et à travers eux la majorité du peuple français, rejette en bloc le système actuel, exige plus de démocratie et un lien direct entre le citoyen et la politique.

Liens vers les autres articles de la série :

Le problème du Quinquennat — La fusion du législatif et de l’éxecutif

Le RIC : une nécessité démocratique

Introduction

La grande supercherie de la démocratie française est de nous faire croire que voter pour quelqu’un (choisir) c’est exprimer son opinion (proposer) alors que ce sont deux choses complètement distinctes et donc qu’on force le peuple français à choisir entre des pantins sans qu’il puisse exprimer son opinion.

Voter/Choisir ce n’est pas exprimer son opinion / proposer

Dans une série d’articles je vais essayer d’analyser la structure politique française, aussi bien au niveau des institutions constitutionnelles (Présidence de la République, Assemblée Nationale, comment une loi est elle préparée? etc…) qu’au niveau des institutions politiques (partis politiques etc…) pour déterminer si nous sommes vraiment en démocratie, quels sont les verrous qui empêchent l’expression de la volonté du peuple, où se situent ils et enfin proposer des solutions à ces problèmes. Car, à mon avis, les Gilets Jaunes et à travers eux la majorité du peuple français, rejette en bloc le système actuel, exige plus de démocratie et un lien direct entre le citoyen et la politique.

Dans cet article je vais essayer de démontrer que le peuple français ne peut pas faire de propositions de lois ni modifier un programme politique d’un parti politique et donc n’a aucun accès au monde politique. Tout cela pour dire que nous ne sommes donc pas en démocratie car le peuple n’a donc aucun contrôle sur la politique.

Le coeur de cet article réside dans la notion de démocratie. On peut la voir de deux façons (c’est Tocqueville qui nous dit ça dans De la démocratie en Amérique) comme un régime politique (le pouvoir au peuple) ou comme une considération de la société et des citoyens. Il faut bien comprendre que la démocratie est une façon de concevoir le pouvoir, la nation, le peuple et son rapport au pouvoir. La raison pour laquelle il y a tant de démocraties avec des constitutions si différentes dans le monde est à la fois historique mais aussi que le rapport d’un certain peuple au pouvoir et à la démocratie façonne l’aspect que prendra sa démocratie (à l’aune du contexte historique qui la verra naître). On voit par exemple que la société américaine met plus d’importance dans la valeur de Liberté alors que la France insiste sur l’Égalité. Une question que nous pouvons donc nous poser est : quelle est la forme que devrait revêtir la démocratie française?

Voter pour un candidat ou pour un programme

Lors des élections présidentielles et législatives, factuellement, nous mettons un nom sur un bulletin. Et à travers ce nom nous votons pour des idées, un programme.

Mais c’est déjà un problème : voter pour quelqu’un c’est dire “oui” à 100 % de son programme, or qui approuve à 100 % le programme d’un homme politique?

C’est aussi l’une des conséquences nocives de la fusion du législatif et de l’exécutif : aujourd’hui les programmes des hommes politiques concernent à la fois ces deux versants du pouvoir et contiennent donc plus de propositions ce qui, mathématiquement, augmente le nombre de sujets sur lesquels vous pouvez être en accord ou désaccord avec un candidat.

Donc un vote n’exprime pas les idées politiques d’un votant mais elles n’en n’expriment qu’une partie. Je soutiens que ce processus n’est pas démocratique car il escamotte une partie des idées du votant.

Et cela ouvre la porte à toutes les manipulations rhétoriques des hommes politiques qui nous disent ensuite que les français ont voté pour un programme et qu’il est donc “légitime” d’en appliquer jusqu’au plus sombre des alinéas de son programme.

Ce système soulève trois problèmes.

Le premier est du point de vue de l’Homme politique lui même et sur la légitimité qu’acquiert son programme. Il ne peut pas savoir lesquelles de ses propositions ont séduit son électorat et celles qui divisent. Il est tout à fait possible que lors de la dernière élection présidentielle, l’électorat de Macron se soit fédéré sur le renouvellement de la classe politique qu’il proposait (qui a eu lieu mais des personnes différentes reproduisent les mêmes comportements) mais pas sur la privatisation de propriétés de l’État français comme la Française des Jeux, les Aéroports de Paris ou encore les Barrages de France par exemple. Mais comme nous votons pour 100 % du programme du candidat, il a la même “légitimité” à vendre ces biens de l’État qu’à réformer le droit du travail.

Le second est les conséquences que cette approbation du votant va le faire se conformer aux idées pour lesquelles il a voté. Cela va donc contribuer à compartimenter les vues politiques des citoyens. Les électeurs de M Dupont ont tendance à se conformer aux idées du meneur de foule c’est à dire M Dupont. Certains pourraient penser qu’au contraire une diversité des opinions peut s’exprimer dans les différents courants proposés au sein d’un parti mais qui peut honnêtement me citer une différence entre la mouvance Pécresse et Wauquiez?

La troisième est la posture adoptée par les Hommes politiques car si une seule partie de leur programme est trop clivante, alors la totalité de leur programme pourrait être rejetée par l’opinion publique.

Mais alors, qui écrit ces fameux programmes qui servent ensuite de base au débat politique et surtout de base à toute modification de la loi en France?

Les programmes des partis politiques sont inaccessibles aux citoyens

Une question qui se pose est : comment les programmes politiques des partis politiques sont ils élaborés? À chaque fois ils ont plusieurs sources : le programme de la précédente élection, la base idéologique du parti, les retours des militants, les influences de certains “think tank” (groupes de pensée) et enfin les particularités de la tête de liste.

On voit donc deux choses : que les retours militants ne sont qu’une partie parmi tant d’autres dans l’élaboration de programmes et que les non militants ne peuvent donc pas faire de proposition pour un programme, chose normale soit dit en passant.

Mais lorsqu’on voit une crise comme celle des gilets jaunes on s’aperçoit que la démocratie doit aller plus loin : tout le monde n’a pas le temps ou l’énergie de s’inscrire à un parti politique pour ensuite faire prévaloir ses idées. Il faut qu’un spectre plus large d’idées puisse s’exprimer pour que les français puissent réellement exprimer leur pluralité d’opinions.

Ajoutez à cela que les trois seuls organes à pouvoir proposer des lois sont le Gouvernement, l’assemblée nationale et le sénat et vous obtenez deux choses : les nouvelles idées politiques ont énormément de mal à apparaître (créer un parti politique est difficile) et donc que les opinions des français doivent et ne peuvent s’exprimer que parmi une liste d’idées bien définie.

Les programmes structurent le débat public

Nous voyons donc bien que cette structure ne favorise pas l’expression démocratique.

Pour compléter le tableau il faut bien voir que ces propositions, auxquelles nous n’avons pas accès, structurent le débat politique. En effet, c’est ensuite sur la base de ces programmes que nous verrons des émissions et autres débats à la TV ou articles dans les journaux. Les hommes et femmes politiques viendront défendre leur programme en restant donc dans un débat fermé.

Si Mélenchon propose A et Le Pen propose B, alors le débat porte sur A ou B, mais qu’en est il de C? C’est ainsi que certaines idées ne sont pas débattues ni proposées.

Des moyens d’action verrouillés

On pourrait répondre à tout ce que j’ai dit plus haut : “Mais monsieur, créez un parti politique et vous pourrez exprimer vos idées! Syndiquez vous!”.

Ce raisonnement a une première conséquence : il sous entend que la démocratie ne peut s’exprimer que dans les urnes et dans les institutions prévues à cet effet. Or l’origine même de notre république, c’est la rue.

Mais c’est en pratique qu’il pêche, la preuve est François Asselineau. Je ne discute pas ici de ses idées mais simplement du fait qu’il lui a fallu 10 ans pour que son parti puisse commencer à avoir une visibilité et qu’on parle de ses idées. Il avait eu un rendez vous avec le président du CSA de l’époque pour demander s’il pouvait passer à la TV et le directeur lui avait été répondu qu’il devait d’abord se présenter à des élections pour avoir des électeurs avérés pour que le CSA lui accorde du temps d’antenne.

Macron a certes été élu sans parti derrière lui pour le soutenir, mais il suffit de s’informer de la couverture médiatique qui lui a été accordée de son poste au ministère à son élection pour voir qu’il a été nettement avantagé par rapport aux autres candidats et ce via principalement les médias des milliardaires français.

Conclusion

On comprend donc que le français de base n’a pas accès au débat public, n’a aucun moyen d’y faire apparaître ses idées politiques à travers les structures traditionnelles et les contres pouvoirs ont perdu leur capacité d’opposition.

Cela vient en fait de la “corruption” de nos médias et partis politiques ainsi que la perte de force des syndicats. J’utilise le terme corruption ici dans un sens large. Les médias sont possédés pour l’immense majorité (9 milliardaires détiennent 90 % des médias) par une classe dominante dont les intérêts sont opposés à ceux du peuple et ils promeuvent donc une grille de lecture bien spécifique, il suffit de lire ou regarder n’importe lequel d’entre eux. La corruption des politiques tient à plusieurs éléments : la politique politicienne, appartenance à la même classe sociale, même formation intellectuelle qui les déconnecte du peuple (ENA), carriérisme, conflits d’intérêts et corruption à proprement parler. Les syndicats ont du mal à mobiliser et toute mobilisation reçoit une pluie de critiques des médias à la botte du pouvoir en place ce qui tend à décrédibiliser le mouvement.

Il faut donc que les français aient un moyen direct d’intervenir dans le processus législatif (le RIC) en proposant ou interdisant une loi. Il faut aussi que les corps intermédiaires retrouvent leur voix principalement à travers une libération des médias des forces de l’argent et de cette classe journalistique parisienne qui en est l’engeance (et je parle ici uniquement des sempiternelles 20 mêmes têtes d’affiche que nous subissons depuis 20 ans et pas du pigiste qui va faire son reportage).

Mais bon, les propositions seront dans un autre article, à bientôt lecteur!

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